La Kafala et le refus de visa d’entrée en France

La Kafala et le refus de visa d’entrée en France
PUBLIÉ LE 17 octobre 2022

La Kafala et le refus de visa d’entrée en France

La demande de visa d’entrée en France sur le fondement d’une Kafala est un sujet peu connu et donc difficilement maîtrisable en droit français, tant par les juristes que par les personnes concernées. L’enjeu de cet article est d’apporter aux uns des éléments de compréhension leur permettant de mieux maîtriser cette matière brute et complexe, et aux autres des standards de sécurité leur permettant de savoir quoi faire, et surtout ne pas faire, au moment de la constitution et du dépôt de la demande de visa. 

La Kafala, réglementée dans certains pays de droit musulman, est une procédure de recueil légal d’un enfant mineur (dit « makfûl ») par un adulte (dit « kafil ») – c’est-à-dire celui qui recueille l’enfant – qui exercera sur lui l’autorité parentale et devra, en contrepartie, prendre en charge sa protection, son éducation et son entretien. C’est le cas pour des enfants abandonnés ou orphelins, des enfants nés de parents inconnus, ou encore d’enfants dont les parents sont frappés d’incapacité ou ne parvenant pas à assumer leur devoir de responsabilité et de prise de charge, par exemple. Il ne s’agit pas d’une adoption à proprement parler, puisque l’acte de Kafala ne crée pas de lien de filiation entre le makfûl et le kafil et ne donne pas droit à la succession.

Si le Conseil d’Etat l’a assimilée à une délégation de l’autorité parentale dans plusieurs arrêts qu’il a rendus (CE, 076/03/2007, n° 285679 ; CE, 09/11/2007, n° 279743 ; CE, 28/12/2007, n° 303956), la Kafala n’est en réalité ni une délégation d’autorité parentale ni une tutelle. Il est plus juste de considérer qu’un enfant mineur confié par Kafala est assimilable à une mesure de protection de ce dernier. C’est d’ailleurs en ce sens qu’elle est reconnue dans les conventions internationales, et notamment la convention sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989. 

La Kafala est souvent invoquée pour obtenir un visa d’entrée sur le territoire français au profit de l’enfant confié par décision judiciaire de recueil légal à un adulte ressortissant français ou étranger résidant régulièrement en France. Cependant, même si l’acte de Kafala a de plein droit l’autorité de chose jugée en France dès lors que les conventions bilatérales entre la France et les pays étrangers concernés le prévoient, autrement dit sans qu’il y ait besoin de saisir le juge français d’une demande d’exequatur du jugement étranger ayant prononcé le recueil légal, son application directe et immédiate en droit français ne signifie pas pour autant qu’elle ouvre automatiquement droit au visa d’entrée en France. 

Le Conseil d’Etat considère en effet que les autorités consulaires françaises peuvent, eu égard au large pouvoir d’appréciation dont elles disposent, refuser de délivrer un visa d’entrée sur le territoire français pour un enfant étranger confié par Kafala, en se fondant notamment sur des circonstances particulières susceptibles d’y faire obstacles, dans la mesure où l’intérêt supérieur de l’enfant est de vivre auprès de la personne qui exerce l’autorité parentale (CE, 22/10/2010, n° 330351 ; CE, 01/12/2010, n° 328063). 

Dans ces conditions, tout l’intérêt est de savoir comment anticiper et éviter les pièges pour bien préparer sa demande de visa sollicité en vertu d’un jugement de Kafala. 

Il y a notamment huit points essentiels à vérifier avant de déposer une demande de visa en la matière. 

1. Vérifier que la Kafala est bien prévue dans l’ordonnancement juridique du pays étranger où réside l’enfant concerné. 

C’est le cas de certains pays du Maghreb. 

En Algérie, la Kafala est définie par l’article 116 du code algérien de la famille comme étant « l’engagement de prendre bénévolement en charge l’entretien, l’éducation et la protection d’un enfant mineur, au même titre que le ferait un père pour son fils ». L’article 121 du code précité dispose que « le recueil légal confère à son bénéficiaire la tutelle légale et lui ouvre droit aux mêmes prestations familiales et scolaires que pour l’enfant légitime ». L’article 117 du même code ajoute que l’acte de Kafala peut être rendu soit par le tribunal (Kafala judiciaire), soit par le notaire (Kafala notariale). 

Au Maroc, la Kafala s’adresse aux enfants abandonnés en application de l’article 1 de la loi n° 15-01 du 13 juin 2002 relative à la prise en charge des enfants abandonnés : « Est considéré comme enfant abandonné tout enfant de l'un ou de l'autre sexe n'ayant pas atteint l'âge de 18 années grégoriennes révolues lorsqu'il se trouve dans l'une des situations suivantes :

- être né de parents inconnus ou d'un père inconnu et d'une mère connue qui l'a abandonné de son plein gré ;

- être orphelin ou avoir des parents incapables de subvenir à ses besoins ou ne disposant pas de moyens légaux de subsistance ;

- avoir des parents de mauvaise conduite n'assumant pas leur responsabilité de protection et d'orientation en vue de le conduire dans la bonne voie, comme lorsque ceux-ci sont déchus de la tutelle légale ou que l'un des deux, après le décès ou l'incapacité de l'autre, se révèle dévoyé et ne s'acquitte pas de son devoir précité à l'égard de l'enfant ».

L’article 4 de la loi n° 15-01 du 13 juin 2002 précise que l’autorité compétente en matière de Kafala est le juge des tutelles de la circonscription dans laquelle se situe la résidence de l’enfant. 

2. Vérifier que la Kafala est reconnue en France au travers d’une convention bilatérale avec le pays étranger où réside l’enfant. 

A titre d’exemple, les règles gouvernant l’entrée et le séjour des ressortissants algériens sont prévues par l’accord franco-algérien du 27/12/1968 portant sur la circulation des Algériens en France. Ces règles ont la même valeur juridique que les traités internationaux, autrement dit une valeur juridique supérieure à celle des lois et des règlements, et sont donc d’application directe en droit français en vertu de l’article 55 de la Constitution française (principe de la hiérarchie des normes juridiques). Cette prise de considération permet ainsi d’écarter, en matière de Kafala, les dispositions législatives prévues par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers (CESEDA), hormis les cas qui ne sont pas envisagés dans l’accord franco-algérien.

Le texte de référence concernant les ressortissants algériens est l’article 9 de l’accord franco-algérien aux termes duquel ces derniers doivent présenter un passeport en cours de valider  muni d’un visa de long séjour délivré par les autorités consulaires françaises pour être admis à entrer et séjourner plus de trois mois sur le territoire français. 

Toutefois, le juge français reste attentif sur le respect strict de la condition de réciprocité comme condition préalable à toute interprétation de l’accord international en question. Ainsi, par exemple, dans l’affaire Chevrol-Benkeddah, la requérante, de nationalité française, a obtenu un diplôme de docteur en médecine délivré en 1969 par l’université d’Alger en Algérie. De retour en France en 1987, elle a demandé son inscription au tableau de l’ordre des médecins en vertu de l’article 5 de la déclaration gouvernementale du 19/03/1962 relative à la coopération culturelle entre la France et l’Algérie, qui stipule que « les grades et diplômes d’enseignement délivrés en France et en Algérie, dans les même condition de programme, de scolarité et d’examen, sont valables de plein droit dans les deux pays ». Cette demande a été pourtant refusée en raison de l’absence de réciprocité. En effet, l’Algérie n’appliquait pas cette clause de l’accord bilatéral à la date de la décision de refus attaquée (CE, 09/04/1999, n° 180277). 

Le Conseil d’Etat ajoute une autre réserve, à savoir qu’un étranger désirant se rendre en France, y compris sur la base d’une Kafala, peut quand se voir refuser l’entrée sur le territoire français par les autorités françaises qui disposent d’un large pouvoir d’appréciation à cet égard, en se fondant notamment sur des motifs ou des circonstances autres que la considération de l’intérêt supérieur de l’enfant de vivre auprès du titulaire de l’autorité parentale en vertu d’un jugement étranger (CE, 01/12/2010, n° 328063). 

3. Vérifier que le jugement de Kafala rendu par le tribunal étranger est régulier. 

Le jugement étranger prononçant la Kafala doit comporter des mentions obligatoires sous peine d’irrégularité, et notamment l’indication de la juridiction dont il émane, le nom des juges qui ont délibéré, la signature et l’identité des parties, sous peine d’irrecevabilité dans le cadre d’une procédure contentieuses devant le tribunal administratif d’une demande d’annulation d’une décision de refus de visa en matière de Kafala. 

Ce jugement doit également faire l’objet d’une signification par huissier dans le pays d’origine. 

Enfin, le kafil n’oubliera pas de demander auprès de la cour d’appel du pays étranger un certificat de non-opposition ou de non-appel du jugement autorisant le recueil légal de l’enfant concerné. 

4. Vérifier que le consentement de l’enfant en âge de discernement ou celui de son représentant légal figure dans le jugement de Kafala. 

Le jugement devra impérativement contenir la mention expresse de l’accord des parents biologiques de l’enfant ou, à défaut, le consentement de l’enfant en âge de discernement concernant la demande de délégation de l’autorité parentale par Kafala. 

Ainsi, il a été jugé récemment que la requérante n’établit pas qu’elle est effectivement tutrice légale de l’enfant demandeur du visa, en l’absence de consentement exprès de la mère biologique (TA de Nantes, 19/09/2022, n° 2201408). 

5. Vérifier que les conditions d’accueil et de logement de l’enfant en France sont conformes à son intérêt. 

Le Conseil d’Etat a certes jugé que « l’intérêt de l’enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d’une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l’autorité parentale » (CE, 28/12/2007, n° 304202 ; CE, 09/12/2009, n° 305031 ; CE, 07/02/2013, n° 347936). 

Néanmoins la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant ne suffit pas pour convaincre les autorités françaises d’accepter de délivrer un visa au nom de la Kafala. Il faut aussi démontrer que la prise en charge de l’enfant en France est conforme à son intérêt, ce qui implique de respecter les conditions d’accueil et de logement. Autrement dit, le titulaire de l’autorité parentale doit avoir un logement suffisamment grand avec, si possible, une chambre dédiée à l’enfant (CAA de Nantes, 01/07/2016, n° 15NT02350). 

6. Vérifier que les conditions de ressources du titulaire de l’autorité parentale sont conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant. 

Le titulaire de l’autorité parentale doit également disposer de ressources financières suffisantes pour subvenir aux besoins de l’enfant dont il a la garde, garantir son entretien et l’accompagner dans son éducation conformément à son intérêt supérieur (CE, 30/12/2009, n° 319890). 

7. Déposer la demande de visa avant que l’enfant atteigne la majorité selon le droit applicable du pays d’origine. 

Les autorités consulaires françaises ne doivent pas refuser la demande de visa au motif que l’enfant recueilli légalement est majeur au sens du droit français, alors même que le droit de son pays d’origine le considère encore comme mineur. 

Dans une affaire récente, un oncle résidant en France avait obtenu en 2007 par jugement de Kafala d’un tribunal algérien le droit de recueillir son neveu né et vivant en Algérie, à charge pour lui de l’entretenir, de l’éduquer et de le protéger jusqu’à sa majorité. Quelques années plus tard, une demande de visa a été déposée auprès du consulat général de France en Algérie, qui a finalement refusé de délivrer un visa pour le motif tiré de ce que le neveu était âgé de 18 ans à la date de la décision de refus au regard du droit français. Le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision attaquée au motif que l’acte de Kafala n’a pas cessé de produire ses effets en France puisque le code civil algérien prévoit que la majorité est fixée à 19 ans révolus (TA de Nantes, 19/09/2022, n° 2205247). 

Par contre, dans une autre affaire, la requérante née en 1994 a été confiée à son frère par acte de Kafala dressé en 2010. Ce dernier a sollicité et obtenu une ordonnance d’exequatur en France en 2012. L’intéressée, devenue majeure, a déposé ensuite une demande de visa de long séjour pour se rendre en France et vivre avec son frère bénéficiaire  de la Kafala. Or, cet acte a cessé de produire ses effets à la date à laquelle l’enfant est devenu majeur (CAA de Nancy, 10/07.2015, n° 14NT02031). 

Cette dernière affaire est symptomatique de ce qu’il ne faut surtout pas faire. Le bénéficiaire de la Kafala a fait l’erreur d’engager une procédure d’exequatur en France et d’attendre le prononcé du jugement d’exequatur avant le dépôt d’une demande de visa, alors même que l’acte de Kafala est en principe d’application directe en droit français. 

8. S’assurer que la venue de l’enfant en France ne constitue pas une menace à l’ordre public. 

Il est enfin nécessaire d’établir auprès des autorités consulaires françaises que la venue de l’enfant ne constitue pas un risque de menace à l’ordre public, en leur communiquant notamment un bulletin n° 3 de son casier judiciaire (CE, 25/02/2008, n° 305697). 

Une fois toutes ces précautions prises, le demandeur pourra préparer sereinement sa demande de visa. 

Il n’empêche que les autorités consulaires peuvent refuser de délivrer le visa sollicité sur la base de motifs assez pu compréhensibles. Si tel était le cas, il ne faut pas hésiter à contester cette décision en respectant strictement les délais de recours, devant par le biais d’un recours préalable obligatoire devant la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France (CRRV) basée à Nantes, voire ensuite devant le tribunal administratif de Nantes. 

Le(s) motif(s) de refus de visa étant des motifs d’ordre juridique, il est vivement recommandé de se faire assister d’un avocat intervenant en matière de visa, mieux placer pour développer des arguments juridiques pertinents de nature à convaincre la Commission de rendre un avis favorable. 

La CRRV a deux mois pour répondre à compter de la date de réception du recours. En l’absence de réponse expresse de la Commission dans le délai imparti, le recours est réputé rejeté : on parle alors de rejet implicite (CAA de Nantes, 17/11/2020, n° 20NT00588). 

En cas de rejet explicite ou implicite du recours, le kafil dispose alors d’un nouveau délai de deux mois pour contester la décision de la CRRV par le biais d’un recours en annulation pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Nantes, en prenant le soin de se faire assister et représenter par un avocat intervenant en matière de visa tout au long de la procédure contentieuse jusqu’au prononcé du jugement définitif.

 

Maître Mourad MEDJNAH

Avocat à la Cour d'appel de Paris

Docteur en droit - Enseignant

Cabinet pluridisciplinaire Medjnah

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